Transfert d’entreprise : la notion d’ « essentiel » de l’activité ou des fonctions

La notion d’essentiel de l’activité ou des fonctions telle que définie par la jurisprudence est loin d’être claire. A ce propos, il est intéressant de lire l’article d’Alexandre Barège, De quelques (im)précisions relatives au transfert du contrat de travail, JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 9. 7 MARS 2017 (1ère partie).

Suivant la jurisprudence toujours en vigueur, en cas de transfert d’une activité à laquelle le salarié est partiellement affecté, le salarié doit passer au service du cessionnaire pour la partie de l’activité qu’il consacrait à l’entité transférée et son contrat de travail à temps complet est transformé en deux contrats à temps partiel (Cass. soc. 2-5-2001 n° 99-41.960 ; Cass. soc. 8-7-2009 n° 08-42.912).

Dans le premier arrêt, la Cour a opté pour la scission du contrat en deux contrats à temps partiel alors même que l’affectation du salarié entre les deux activités s’évaluait à hauteur de 60% contre 40% (Cass. soc. 2-5-2001 n° 99-41.960).

Toutefois, la jurisprudence est venue nuancer sa position avec la notion d’ « essentiel » des fonctions  qui pose des difficultés pratiques de mise œuvre. La Cour de cassation semble effectivement exclure le cumul de contrats à temps partiel dès lors que le salarié exerce l’essentiel de ses fonctions dans l’entité cédée, auquel cas son contrat se poursuit avec l’employeur cessionnaire, et inversement (Cass. soc., 30 mars 2010, nº 08-42.065 ; Cass. soc. 21-9-2016 n° 14-30.056 ; Cass. soc. 23-5-2017 n° 15-29.194).

Cependant la notion d’ « essentiel » des fonctions  n’est pas définie par la jurisprudence. Elle s’apprécie au cas par cas et pas nécessairement en termes de pourcentage (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 4e et 6e chambres réunies, 15 Novembre 2019 – n° 16/20993).

Cette appréciation repose souvent sur l’objet ou la nature des fonctions exercées par le salarié. Par exemple dans un arrêt du Conseil d’Etat, l’activité transférée par la clinique, employeur initial, était celle de restauration collective. La salariée qui contestait le transfert de son contrat de travail était assimilée à une soignante, définissant notamment les besoins nutritionnels des malades. Le Conseil a jugé que l’essentiel des fonctions de cette salariée au sein de la clinique n’entrait pas dans le champ du transfert partiel d’activité. Son contrat a été maintenu au sein de la clinique (Conseil d’État, 4e sous-section, 1er Août 2013 – n° 358257).

Le même raisonnement est appliqué dans plusieurs autres jurisprudences qui s’attachent à la nature des fonctions auxquelles le salarié est principalement chargé (Cour d’appel, Rennes, 8e chambre prud’homale, 23 Novembre 2018 – n° 16/4424 ; Cour d’appel, Douai, Chambre sociale, 20 Avril 2018 – n° 16/02295).

A titre d’exemple, dans la situation d’un salarié qui exercerait d’une part des fonctions de comptable et également des tâches de recrutement de manière résiduelle, en cas de transfert de l’activité de recrutement, le salarié devrait rester rattaché à l’entreprise dans laquelle il exerce son activité de comptable et ne pas bénéficier de deux contrats de travail.

Anne NDIAYE

AMADICE©

Dénonciation par l’employeur d’un usage en matière de prime

Il n’est pas rare que les employeurs instituent un système de primes, mensuel, semestriel ou encore annuel, sans que cette libéralité relève d’aucune disposition conventionnelle.

Si l’instauration de cet usage ne requiert aucune formalité particulière, sa dénonciation doit en revanche respecter un formalisme précis.

Dans un premier temps, revenons sur les critères permettant de caractériser l’existence d’un usage institué par l’employeur à savoir : la constance, la généralité et la fixité (Cass. 11 janvier 2017 n°15-15819)

1.Sur la caractérisation de l’usage

Le premier critère de l’usage est la constance.

a) La constance du versement de la prime

La constance permettant de caractériser l’usage s’apprécie au cas par cas en fonction des circonstances de fait. A titre d’exemples, la jurisprudence a jugé que constitue un usage constant :

  • le versement automatique d’une prime mensuelle au salarié depuis son entrée dans la société soit durant plus de deux ans. Dans cette espèce, la prime litigieuse était forfaitaire était octroyée à l’ensemble des attachés commerciaux (Cass. Soc., 10 décembre 1992 n° 89-43665).
  • le versement pendant trois ans d’une prime de fin d’année à l’ensemble du personnel justifiant d’une ancienneté de six mois (Cass. Soc., 20 juin 1984 n°81-42917),

Si la jurisprudence ne fixe pas de durée minimum permettant de caractériser la constance de l’usage, il apparait toutefois que l’avantage concédé par l’employeur doit l’avoir été sur une période significative et régulière.

En matière de primes, la régularité des versements doit être telle que la commission est considérée comme une partie intégrante du salaire.

Aussi, il convient pour l’employeur d’être prudent quant au versement de primes sans considération d’objectifs et qui ne résulterait pas d’un fait isolé.

b) Le caractère général de la prime

Le caractère général de l’usage implique que l’avantage bénéficie à une collectivité identifiée de salariés. Il peut s’agir de l’ensemble des salariés, des salariés ayant cumulé une certaine ancienneté ou une catégorie déterminée de salariés (commerciaux de l’entreprise par exemple) (Cass. Soc., 27 mai 1987 n°82-42115).

L’usage peut être propre à un établissement.

c) Sur la fixité du mode de calcul de la prime 

Pour que l’usage soit caractérisé, l’avantage doit présenter une certaine fixité tant au regard des conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses conditions de calcul (Cass. Soc., 28 octobre 1998 n° 96-44469 ; Cass. Soc., 27 juin 2007 n° 06-42987).

Tel est le cas par exemple lorsque l’employeur ne met en œuvre aucun pouvoir discrétionnaire s’agissant du mode de calcul de la rémunération variable et détermine son montant de manière forfaitaire, durant plusieurs mois, voire années.

La Cour de cassation est déjà intervenue pour trancher cette problématique et considère précisément que l’employeur qui a versé une prime contractuelle, alors même que les objectifs sur lesquels elle était assise n’étaient pas atteints, a créé un usage. Cette prime est alors devenue un élément constant de la rémunération du salarié, auquel celui-ci pouvait prétendre sans que l’employeur puisse invoquer sa variabilité (Cass. Soc., 15 octobre 2014, 13-14246).

Mais une fois l’usage instauré, comment le révoquer ? L’employeur y reste t-il tenu indéfiniment ? Non, fort heureusement. Toutefois, il doit respecter un certain formalisme pour le dénoncer

L’employeur qui entend faire cesser l’application d’un usage doit procéder à sa dénonciation dans les conditions définies par la jurisprudence (Cass. Soc., 31 janvier 1996 n°93-41254 ; Cass. Soc., 3 mai 2016 n° 14-29297 ; Cass. Soc., 26 septembre 2016 n° 15-15055).

La jurisprudence précise en effet que l’employeur peut supprimer ou modifier un avantage institué par un usage, unilatéralement, par écrit, à condition d’en informer, dans un délai suffisant, les institutions représentatives du personnel et, de manière individuelle, chaque salarié concerné, étant précisé que ces trois conditions sont cumulatives.

2. Sur la dénonciation par l’employeur d’un usage portant sur un élément du salaire

N’est requis ni l’accord des salariés, ni une justification de la part de l’employeur.

En pratique, après inscription préalable obligatoire à l’ordre du jour, l’employeur informe le CSE du projet de dénonciation lors d’une réunion du comité. (Cass. Soc. 5 janvier 2005, n° 02-42819).

Lorsque l’entreprise est dépourvue de représentants du personnel car l’employeur n’a pas organisé d’élection, la procédure sera de fait irrégulière. Lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel en raison de l’effectif de l’entreprise, il n’y a pas d’obligation de consultation.

C’est à l’employeur qui soutient que l’usage n’est plus en vigueur de rapporter la preuve de ce qu’il a respecté les formalités précitées, notamment le délai de prévenance suffisant (Cass. Soc., 22 octobre 1996 n°93-43845).

  • Sur l’appréciation du délai suffisant

En cas de dénonciation d’un usage, l’employeur doit en effet prévoir un préavis suffisant entre la notification de sa décision de supprimer l’avantage et la date d’effet de celle-ci.

La durée du délai de prévenance doit notamment permettre aux représentants du personnel d’engager d’éventuelles négociations avec l’employeur.

La jurisprudence ne détermine pas de délai suffisant de principe, mais en fait une appréciation souveraine au cas par cas.

  • La doctrine considère qu’un délai de trois mois peut se concevoir s’agissant de la remise en cause d’éléments de rémunération à périodicité mensuelle. Un délai de six mois semble indispensable s’agissant d’une prime annuelle.
  • A été considéré comme suffisant, le délai de dénonciation d’un usage en juin pour une prime habituellement versée au mois de décembre (Cass. Soc. 27 avril 1984 n°86-45468).
  • En tout état de cause, il convient pour l’employeur de garder à l’esprit que le délai de prévenance pouvant être considéré comme suffisant doit notamment permettre d’engager d’éventuelles négociations avec les représentants du personnel.

A titre d’illustration, la jurisprudence a considéré que ne respecte pas un délai de prévenance suffisant l’employeur qui annonce en juin la suppression d’une prime de campagne versée au mois de juillet (Cass. Soc., 24 octobre 1997 n°96-40927) ou l’employeur qui remet en cause le 1er décembre une prime de treizième mois payable en fin décembre (Cass. Soc., 3 mars 1993 n°89-45785)

3. Cas particuliers

Il importe de relever que l’employeur peut également mettre fin à un usage par la voie d’un accord collectif, ce qui permet de passer outre le formalisme de la dénonciation.

En cas de transfert d’entreprise (entité économique autonome), le nouvel employeur est tenu de maintenir le bénéfice des usages d’entreprise en vigueur à l’égard des salariés dont le contrat était en cours au moment du transfert (Cass. Soc. 11 janvier 2012 n°10-14614). Ce qui peut justifier une différence de traitement reposant sur des raisons objectives, par rapport aux autres salariés.

Enfin, la suppression d’un usage prévu dans le contrat de travail du salarié, requiert son accord préalable. La simple référence ou remise au salarié d’un document récapitulant les usages de l’employeur n’a pas pour effet de contractualiser les avantages qui y sont écrits. La Cour de cassation considère que la dénonciation de l’usage ou la conclusion d’un accord collectif ayant le même objet ne sont d’aucun effet (Cass. Soc. 1er février 2012, n° 10-17394).

Anne Ndiaye

AMADICE ©

VOITURE AFFECTÉE D’UN VICE CACHÉ : QUE FAIRE ?

Il n’est pas rare que des particuliers, ayant fait l’acquisition d’un véhicule (notamment d’occasion auprès d’un particulier ou par l’intermédiaire d’un professionnel), découvrent peu de temps après la vente, un dysfonctionnement non apparent au moment de la vente.

Que faire dans une telle situation ?

Sachez que la loi et plus précisément l’article 1641 du Code Civil met à la charge du vendeur une obligation de garantir l’acquéreur des vices cachés du bien vendu (désordres, défauts affectant la chose vendue) et qui rendent ce bien impropre à l’usage auquel on le destine ou diminue cet usage au point que l’acquéreur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait consenti à payer qu’un prix moindre, s’il avait eu connaissance de ces défauts.

Cette garantie est due qu’il s’agisse d’un véhicule neuf ou d’occasion et quel que soit le vendeur concerné (professionnel ou particulier).

Conditions de mise en œuvre de la garantie légale des vices cachés

L’action en garantie des vices cachés suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Vous devrez apporter :

  • la démonstration d’un défaut caché, c’est-à-dire non-apparent et non connu au moment de l’achat,
  • Ce défaut doit être antérieur à l’achat (et donc ne pas résulter de l’usure normale du véhicule),
  • ce défaut doit rendre le véhicule impropre à l’usage auquel il est destiné, soit en diminuer très fortement son usage.

A titre illustratif, la jurisprudence a pu considérer que :

  • la nuisance sonore pour un véhicule haut de gamme et d’une marque de prestige caractérise un vice (Cass. civ. 1, 7 mars 2000, n° 97-17511) ;
  • le fait de découvrir après la vente que le véhicule a été gravement accidenté, mais non réparé dans les règles de l’art, justifie la qualification de vice caché (Cass. Civ. 1ère, 25mars 2003, n° 00-21114).

Le vendeur professionnel a une obligation de renseignement à l’égard de l’acheteur concernant notamment l’existence d’un accident survenu sur le véhicule vendu (Cass. Civ. 1, 15 mai 2002, n° 99-21521).

Moyens de preuve et expertise judiciaire

La preuve du caractère défectueux du véhicule se fait par tous moyens (attestations du garagiste, factures de réparation…).

Le moyen de preuve le plus efficace demeure cependant la production d’un rapport d’expertise judiciaire (si, juridiquement, le juge n’est pas lié par le rapport d’expertise, en pratique, il entérine presque systématiquement les conclusions de l’expert).

Pour ce faire, il convient de solliciter en référé la désignation d’un expert judiciaire en assignant le vendeur sur le fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile.

L’expert désigné aura pour mission d’examiner le véhicule litigieux, donner son avis sur l’origine des désordres l’affectant et évaluer les préjudices que vous avez subis.

Délai de prescription

Vous disposez d’un délai de 2 ans à compter de la découverte du défaut pour agir.

Attention, l’action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l’article L. 110- 4 du Code de Commerce, qui court à compter de la vente initiale.

Deux solutions possibles devant le juge

Une fois le rapport d’expertise déposé et que les conclusions de l’expert judiciaire vous auront permis de déterminer et de dater les malfaçons apparues sur le véhicule litigieux, vous pourrez saisir le juge du fond en ouverture de rapport.

Vous aurez alors le choix de solliciter :

  • soit la réduction du prix,
  • soit la résolution de la vente, dans cette hypothèse, vous devrez restituer le véhicule et demander le remboursement du prix payé ainsi que des frais occasionnés par la vente.

Conformément aux dispositions de l’article 1645 du Code Civil :

« Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur ».

Ainsi, sous réserve de démontrer que le vendeur avait connaissance du vice, l’acquéreur peut solliciter des dommages et intérêts pour l’ensemble des préjudices subis (frais d’expertise amiable, réparations liées aux vices cachés, préjudice de jouissance…).

La jurisprudence estime que le vendeur professionnel est réputé connaître le bien qu’il vend. Cette présomption irréfragable de connaissance du vice par le professionnel l’empêche de s’exonérer à l’égard de l’acheteur profane et doit aboutir à une condamnation accrue du vendeur conformément à l’article 1645 du Code Civil (Cass. Civ. 1ère 16 avril 1996 n°94-15955).

En outre, la Cour de cassation considère qu’en se livrant de façon habituelle à des opérations d’achat et de revente de véhicule d’occasion dont il tire profit, le vendeur acquière la qualité de vendeur professionnel, de sorte qu’il est réputé connaître les vices de la chose vendue et est tenu de tous les dommages-intérêts envers l’acheteur (Civ. 1ère, 30 septembre 2008, n° 07-16876)

Mesures conservatoires

Il n’est pas exclu, même en présence d’un rapport d’expertise judiciaire sans équivoque, que le vendeur de mauvaise foi conteste les conclusions de l’expert et réfute toute responsabilité.

Vous serez alors exposés à un risque d’insolvabilité frauduleusement organisée par le vendeur (dans l’attente de la décision du juge au fond).

Vous avez dans ce cas la possibilité d’introduire une requête devant le Juge de l’exécution afin d’être autorisé à faire procéder à une saisie conservatoire.

Anne Ndiaye

AMADICE©