Il n’est pas rare que les employeurs instituent un système de primes, mensuel, semestriel ou encore annuel, sans que cette libéralité relève d’aucune disposition conventionnelle.
Si l’instauration de cet usage ne requiert aucune formalité particulière, sa dénonciation doit en revanche respecter un formalisme précis.
Dans un premier temps, revenons sur les critères permettant de caractériser l’existence d’un usage institué par l’employeur à savoir : la constance, la généralité et la fixité (Cass. 11 janvier 2017 n°15-15819)
1.Sur la caractérisation de l’usage
Le premier critère de l’usage est la constance.
a) La constance du versement de la prime
La constance permettant de caractériser l’usage s’apprécie au cas par cas en fonction des circonstances de fait. A titre d’exemples, la jurisprudence a jugé que constitue un usage constant :
- le versement automatique d’une prime mensuelle au salarié depuis son entrée dans la société soit durant plus de deux ans. Dans cette espèce, la prime litigieuse était forfaitaire était octroyée à l’ensemble des attachés commerciaux (Cass. Soc., 10 décembre 1992 n° 89-43665).
- le versement pendant trois ans d’une prime de fin d’année à l’ensemble du personnel justifiant d’une ancienneté de six mois (Cass. Soc., 20 juin 1984 n°81-42917),
Si la jurisprudence ne fixe pas de durée minimum permettant de caractériser la constance de l’usage, il apparait toutefois que l’avantage concédé par l’employeur doit l’avoir été sur une période significative et régulière.
En matière de primes, la régularité des versements doit être telle que la commission est considérée comme une partie intégrante du salaire.
Aussi, il convient pour l’employeur d’être prudent quant au versement de primes sans considération d’objectifs et qui ne résulterait pas d’un fait isolé.
b) Le caractère général de la prime
Le caractère général de l’usage implique que l’avantage bénéficie à une collectivité identifiée de salariés. Il peut s’agir de l’ensemble des salariés, des salariés ayant cumulé une certaine ancienneté ou une catégorie déterminée de salariés (commerciaux de l’entreprise par exemple) (Cass. Soc., 27 mai 1987 n°82-42115).
L’usage peut être propre à un établissement.
c) Sur la fixité du mode de calcul de la prime
Pour que l’usage soit caractérisé, l’avantage doit présenter une certaine fixité tant au regard des conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses conditions de calcul (Cass. Soc., 28 octobre 1998 n° 96-44469 ; Cass. Soc., 27 juin 2007 n° 06-42987).
Tel est le cas par exemple lorsque l’employeur ne met en œuvre aucun pouvoir discrétionnaire s’agissant du mode de calcul de la rémunération variable et détermine son montant de manière forfaitaire, durant plusieurs mois, voire années.
La Cour de cassation est déjà intervenue pour trancher cette problématique et considère précisément que l’employeur qui a versé une prime contractuelle, alors même que les objectifs sur lesquels elle était assise n’étaient pas atteints, a créé un usage. Cette prime est alors devenue un élément constant de la rémunération du salarié, auquel celui-ci pouvait prétendre sans que l’employeur puisse invoquer sa variabilité (Cass. Soc., 15 octobre 2014, 13-14246).
Mais une fois l’usage instauré, comment le révoquer ? L’employeur y reste t-il tenu indéfiniment ? Non, fort heureusement. Toutefois, il doit respecter un certain formalisme pour le dénoncer
L’employeur qui entend faire cesser l’application d’un usage doit procéder à sa dénonciation dans les conditions définies par la jurisprudence (Cass. Soc., 31 janvier 1996 n°93-41254 ; Cass. Soc., 3 mai 2016 n° 14-29297 ; Cass. Soc., 26 septembre 2016 n° 15-15055).
La jurisprudence précise en effet que l’employeur peut supprimer ou modifier un avantage institué par un usage, unilatéralement, par écrit, à condition d’en informer, dans un délai suffisant, les institutions représentatives du personnel et, de manière individuelle, chaque salarié concerné, étant précisé que ces trois conditions sont cumulatives.
2. Sur la dénonciation par l’employeur d’un usage portant sur un élément du salaire
N’est requis ni l’accord des salariés, ni une justification de la part de l’employeur.
En pratique, après inscription préalable obligatoire à l’ordre du jour, l’employeur informe le CSE du projet de dénonciation lors d’une réunion du comité. (Cass. Soc. 5 janvier 2005, n° 02-42819).
Lorsque l’entreprise est dépourvue de représentants du personnel car l’employeur n’a pas organisé d’élection, la procédure sera de fait irrégulière. Lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel en raison de l’effectif de l’entreprise, il n’y a pas d’obligation de consultation.
C’est à l’employeur qui soutient que l’usage n’est plus en vigueur de rapporter la preuve de ce qu’il a respecté les formalités précitées, notamment le délai de prévenance suffisant (Cass. Soc., 22 octobre 1996 n°93-43845).
- Sur l’appréciation du délai suffisant
En cas de dénonciation d’un usage, l’employeur doit en effet prévoir un préavis suffisant entre la notification de sa décision de supprimer l’avantage et la date d’effet de celle-ci.
La durée du délai de prévenance doit notamment permettre aux représentants du personnel d’engager d’éventuelles négociations avec l’employeur.
La jurisprudence ne détermine pas de délai suffisant de principe, mais en fait une appréciation souveraine au cas par cas.
- La doctrine considère qu’un délai de trois mois peut se concevoir s’agissant de la remise en cause d’éléments de rémunération à périodicité mensuelle. Un délai de six mois semble indispensable s’agissant d’une prime annuelle.
- A été considéré comme suffisant, le délai de dénonciation d’un usage en juin pour une prime habituellement versée au mois de décembre (Cass. Soc. 27 avril 1984 n°86-45468).
- En tout état de cause, il convient pour l’employeur de garder à l’esprit que le délai de prévenance pouvant être considéré comme suffisant doit notamment permettre d’engager d’éventuelles négociations avec les représentants du personnel.
A titre d’illustration, la jurisprudence a considéré que ne respecte pas un délai de prévenance suffisant l’employeur qui annonce en juin la suppression d’une prime de campagne versée au mois de juillet (Cass. Soc., 24 octobre 1997 n°96-40927) ou l’employeur qui remet en cause le 1er décembre une prime de treizième mois payable en fin décembre (Cass. Soc., 3 mars 1993 n°89-45785)
3. Cas particuliers
Il importe de relever que l’employeur peut également mettre fin à un usage par la voie d’un accord collectif, ce qui permet de passer outre le formalisme de la dénonciation.
En cas de transfert d’entreprise (entité économique autonome), le nouvel employeur est tenu de maintenir le bénéfice des usages d’entreprise en vigueur à l’égard des salariés dont le contrat était en cours au moment du transfert (Cass. Soc. 11 janvier 2012 n°10-14614). Ce qui peut justifier une différence de traitement reposant sur des raisons objectives, par rapport aux autres salariés.
Enfin, la suppression d’un usage prévu dans le contrat de travail du salarié, requiert son accord préalable. La simple référence ou remise au salarié d’un document récapitulant les usages de l’employeur n’a pas pour effet de contractualiser les avantages qui y sont écrits. La Cour de cassation considère que la dénonciation de l’usage ou la conclusion d’un accord collectif ayant le même objet ne sont d’aucun effet (Cass. Soc. 1er février 2012, n° 10-17394).
Anne Ndiaye
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